Rêve ou Vision?                

(24/02/97 à 18/04/97).
 
 

1/ La plaque

Seul le sifflement du vent sur les pierres tombales était audible.
Un garçon se tenait debout, la tête baissée, les yeux clos. Les cheveux battant au vent. Il se tenait debout en face d'une plaque portant des inscriptions.
On pouvait lire:
PAUL CORBUIT 
(12/05/1978-4/02/1997)
A notre regretté fils.
A notre ami.

2/ Un rêve


Puis, une sonnerie...
Paul ouvrit les yeux, éteignit son réveil, puis, tremblant, regarda la date sur le calendrier accroché au mur juste au-dessus du réveil...4...
On était le 4 février 1997...
Il comprit tout de suite ce que cela impliquait. Peut-être n'importe qui d'autre aurait conclu à une coïncidence, ou juste un rêve morbide, mais qui au plus vous rend mal à l'aise.
Paul ne se sentait même pas mal à l'aise.
En effet, il ne pouvait même plus se dire que ce n'était qu'un rêve banal, compte tenu des événements passés.
Ce n'était pas le premier rêve relié à la réalité de telle façon qu'il faisait, mais le pire, c'est qu'à chaque fois, la scène rêvée se reproduisait dans la réalité, avec une précision déroutante, et si souvent morbide.
Cela avait commencé par son chat, il l'avait rêvé mort sur la route, la tête faisant un angle inhabituel avec le reste du corps, et lorsqu'il trouva son chat sur cette même route, il ne put conclure à une coïncidence. 
La tête faisait cet angle avec le corps, et les yeux ouverts de l'animal avaient cette même expression fixe, plaintive, comme dans son rêve.
Puis, cet incendie dans la rue voisine, cette femme, hurlant, puis tombant, en feu, par la fenêtre. 
Et sur la voiture en bas, ses cheveux calcinés, imbibés de sang et de cervelle...exactement comme dans le rêve, ou plutôt le cauchemar.
Il ne faisait donc plus aucun doute désormais, pour Paul, qu'il allait mourir le jour même.
Il restait immobile, incapable de penser.
Puis, après un moment, il regretta de devoir mourir le jour même, alors, c'était fini ? Comme ça ? 
Pourquoi lui ? Pourquoi si jeune ?
Qu'avait-il fait pour mériter cela, et surtout, pourquoi était-il prévenu à l'avance ?
Quoi de pire, que de savoir que l'on va mourir dans la journée, mais sans savoir quand, ni même comment.
Là vint l'appréhension, COMMENT allait-il mourir ?
Probablement cela était fixé, mais après tout, il avait vu sa tombe, donc les causes de sa mort pouvaient être multiples.
Aussi, peut-être pourrait-il modifier le scénario, peut-être que s'il ne se trouvait pas à un endroit précis à un moment précis, il ne périrait pas !
Mais comment savoir ce qu'il fallait ou ne fallait pas faire, où il fallait, ou ne fallait pas aller ?
Paul se calma et réfléchit.
Il arriva à la conclusion qu'il devait faire comme tous les jours, comme si de rien n'était, ne serait-ce que pour sa famille, ses amis, il ne fallait pas que quelqu'un se doute de quelque chose, ou même ne remarque une différence dans son comportement par rapport d'habitude.
Paul se leva donc, s'efforçant de ne pas penser que c'était la dernière fois qu'il faisait cela.
Il descendit l'escalier, puis, arrivé en bas, il ne put s'empêcher de se dire que cela aurait pu se passer dans l'escalier, une mauvaise chute...
Alors c'était ça qu'il allait endurer toute la journée, à chaque pas qu'il ferait, il se demanderait s'il allait mourir sur-le-champ, ou plus tard.
Eh bien, autant en finir le plus vite possible alors.
Paul se prit à souhaiter mourir immédiatement...mais...rien n'arriva, lorsqu'il pénétra dans la cuisine, son père ne lâcha pas le couteau avec lequel il jonglait, et la fenêtre, se refermant sous l'effet d'un violent courant d'air ne lui fracassa pas le crâne, et passa près de celui-ci sans même le toucher.
Paul n'y pensa pas immédiatement à chaque fois, mais sachant ce qu'il savait, cela aurait bien pu être Le moment à ces deux occasions.
Non. Il fallait qu'il oublie ça, s'il devait mourir, il ne devait pas s'y attendre, en tout cas, découvrir la manière dont il aller périr au dernier moment, il fallait donc qu'il arrête de guetter la mort.
De plus, s'il devait mourir le jour même, il devait profiter de ses derniers moments de vie à fond.
Et après tout, peut-être n'était-ce qu'un rêve, le dernier rêve lié à la réalité remontait à une semaine...
Allez! Un peu d'espoir, n'y pense plus, et tu vivras! , se dit Paul, pas très convaincu.

3/ Une journée ensoleillée

Le bus arrivait.
Paul trébucha sur le bord du trottoir, et fut retenu de justesse par un autre garçon, qui le reconnu, et lui dit:
-"Dis donc Paul, tu devrais faire gaffe où tu mets les pieds, sinon, après, on a la sale réputation d'être la tranche d'âge où y a l'plus de suicide! ".
A ces mots, une pensée furtive traversa l'esprit de Paul, une pensée horrible, qui le fit frissonner de terreur, mais il la chassa du mieux qu'il put, et, montant dans le bus, adressa un sourire forcé à son sauveteur.
Il le maudit en lui-même, pensant que cela ne faisait que retarder l'échéance et qu'il restait une place pour...cette terrifiante pensée...
-"Eh! , mais qu'est-ce qu'il fait ce camion à gauche là, il a grillé le feu!
Mais qu'est-ce qu'il attend pour freiner...ouf ! n a eu chaud ! Un mètre de plus, et...il repeignait son pare-chocs avec notre sang!
Paul avait un goût amer dans la bouche.
Comment ne plus penser à ce rêve si on le relançait sans arrêt ? En voyant ce camion, il n'avait pas bronché, il l'avait fixé, il venait droit sur lui, et au moment où il s'arrêta, Paul en fut profondément frustré.
Il en était donc arrivé à ne plus vouloir être sauvé.


* *
*



Lorsque Paul arriva à la fac, dans le couloir, elle était là lorsqu'il s'approcha, elle le vit et lui sourit...Plus rien n'existait désormais pour Paul, excepté Florence, son sourire transcendait la réalité, et l'éclat de ses yeux l'hypnotisait. Son esprit se vida de toutes ses angoisses, il s'approcha, comme mu par une force irrésistible, lui sourit, l'embrassa furtivement sur la joue et lui dit :
-"Salut ! , elle lui demanda :
-ça va ?
Bien, et toi ?, renchérit-il.
-Bien aussi, le soleil brille, tout va bien ! , affirma Florence, un sourire franc aux lèvres.
Florence rayonnait, sa bonne humeur était communicative, et bien plus pour Paul, même si une certaine amertume l'envahissait, comme à chaque fois qu'il la voyait.
Il l'aimait en secret, et ne pensait pas vraiment avoir ses chances avec elle.


* *
*



La réalité frappa de nouveau Paul en cours, c'était la dernière fois qu'il verrait Florence s'il devait mourir le jour même, c'était le seul regret qu'il avait, la seule chose qui le raccrochait à la vie.
Mais elle ne semblait pas s'intéresser à lui plus qu'a un simple ami, pire, juste un camarade de classe.
Dans ce cas, rien ne le retenait plus ici, la mort signifiait l'arrêt de toutes ces tortures, il n'avait plus aucun regret à quitter ce monde cruel, de plus, personne ne tenait assez à lui pour qu'il hésite à accepter la mort.


* *
*



Plus tard, en T.P de chimie, Paul se tourna vers Florence, leurs regards se croisèrent, et elle lui sourit, contrairement à d'habitude, son coeur ne s'accéléra pas, il était tout à fait calme, car résigné, il savourait ce dernier sourire, il voulait la voir encore un peu avant de mourir.
Puis, Paul fut pris de cours, car elle se dirigea vers lui, et lui dit gentiment:
-"Eh! Paul, ça te dirait de venir avec nous ce soir, on irait manger en ville, puis parés on irait au ciné, alors, tu viens ? Allez! S'il te plaît!
-D'accord, si tu veux, lança Paul.
-O.K., on se retrouve ce soir à six heures sur le parking , d'accord ? A tout à l'heure.
-Oui...à tout à l'heure...
Paul n'avait pas eu le temps de réfléchir, il avait accepté presque par réflexe, il ne pouvait rien refuser à Florence, surtout pas une invitation...



4/ Contacts

Dans la voiture, Paul était tendu, comment devait-il se comporter ? Et même s'il avait su, aurait-il réussit à se comporter idéalement ?
Non, il était trop tendu.
Il se détendit un peu à la crêperie, son ami bob, ( Robert était son prénom, mais il préférait qu'on l'appelle Bob ), commençait à raconter des blagues, et à faire rire tout le monde.
Puis, plus tard, au cinéma, Florence se plaça à côté de Paul, mais il resta détendu, il avait à nouveau oublié ses angoisses. Mais lorsqu'à un moment, Florence, effrayée par la vision à l'écran d'un foetus ensanglanté se faire écraser par le pied d'un homme, se blottit contre lui, il s'arrêta de respirer, il n'entendais plus que le son de son propre coeur qui battait la chamade, et la respiration haletante de Florence.
Elle resta un long moment blottie contre lui, puis se rassit normalement, adressant à Paul un sourire entendu.



* *
*


En retournant à la voiture, Paul et Florence étaient devant, silencieux, et Bob et les autres faisaient des commentaires sur le film en riant.
Lorsqu'ils traversèrent la gare, tandis qu'un train arrivait, plus personne ne parlait, car avec le train, on ne s'entendait pas.
Paul leva les yeux au hasard, et son regard tomba sur une pendule à affichage digital, puis il baissa la tête.
Il était heureux, il avait passé une formidable soirée, désormais il se sentait près à avouer ses sentiments à Florence...Mais tout à coup, les gros chiffres rouges de l'horloge digital lui revinrent à l'esprit, 2,3 puis 2 points, puis à nouveau 5,8, 23:58 !
A nouveau, la réalité accablante reprit le dessus, il allait mourir dans les 2 minutes suivantes!
Il regarda à nouveau l'horloge...1 minute!
Une angoisse terrible le submergea, il regarda ses amis, puis Florence, puis le train, et à nouveau Florence, intensément, puis d'un bond, sauta juste devant le train en hurlant.
A cet instant, il pensait:
"C'est donc cette mort, la plus terrible de toute qui m'attendait... eh bien...soit...".
A ce moment eu lieu le contact entre son visage et l'avant du train...



5/ La plaque


Seul le sifflement du vent sur les pierres tombales était audible.
Bob se tenait debout, la tête baissée, les yeux clos. Ses cheveux battaient au vent.
Florence vint le rejoindre, ils faisaient face à une plaque inscrite...


Peut-être n'était-ce qu'un rêve...
ou bien...une vision...

                                                                                           Auteur : Toraille Vincent.

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